Tout avait pourtant si bien commencé. Quelle meilleure occasion que ce confinement pour enterrer la hache de guerre avec soi-même ? Au début, plein de bonne volonté, j’ai réellement essayé. J’ai tenté de trouver un moyen afin de cohabiter sainement avec mon corps ainsi que mon esprit. Le corps, c’est l’espace ; l’esprit, c’est la capacité à saisir la réalité et la mettre en relation avec sa sensibilité. Ensuite, vient la façon dont on a été « codé », comme un programme informatique. Comment on a été élevé, éduqué et nos expériences. C’est en quelque sorte le filtre qu’on a sur les yeux. L’idéal, c’est que ces trois entités s’accordent ensembles sur un même rythme. Tout d’abord, pour me réconcilier avec mon corps, j’ai arrêté de fumer. Je le nourrissais de manière appropriée avec beaucoup de fruits et de légumes. Chaque matin, après l’avoir fait sortir du lit, je lui ai fait faire du sport. 100 pompes, 100 abdos, et tous les deux jours nous allions courir. Pour l’esprit, le simple fait d’arrêter de fumer du shit aidait déjà beaucoup. Le shit, ça remplit instantanément le cerveau de béton. Tout est figé, plus rien n’est en mouvement ; les pensées, peu importe leur nature, sont en prise avec cette substance collante. Alors pour attraper des pensées, il faut partir au charbon, plonger les deux mains dans cette pâte granuleuse et se salir les mains. Mais étant donné que se salir les mains c’est désagréable, alors je ne réfléchis pas et ne bouge pas. Le corps et le cerveau vont à la même vitesse réduite. Vivre ça devient automatique comme se brosser les dents. Mais cette sensation de rythme et d’unité est factice. Ça remplit ma jauge d’existence au max en peu de temps et c’est cool. Mais ça ne dure pas dans le temps. Alors, tout en arrêtant de fumer, j’ai engagé mon esprit dans la poursuite d’une rigueur. Lectures, films, balades dans la forêt, etc. J’ai tenu un peu plus d’un mois. Mais malgré cette nouvelle hygiène de vie, bien qu'elle m’ouvrait a de nouvelles perceptions de moi-même et du monde m’entourant, quelque chose m’a échappé. La positivité et l’ouverture dont j’arrivais à faire preuve envers moi et autrui me séparait de mes mondes intérieurs. C’est comme si j’oubliais ma vraie nature, celle des animaux lucifuges. Le souvenir de mondes souterrains me persécutait. Alors, dans un élan unificateur du corps et de l’esprit, j’ai plongé en moi.

Et dans mon dedans j’ai rencontré de nouvelles personnalités formidables. En premier lieu, il y a Robert. Et ce n’est nul autre que mon zizi. On s’amusait bien ensemble. C’est une personne très chaleureuse. On rit beaucoup lui et moi. Dès fois il est tout raplapla. D’autres, il est tout nerveux ; c’est un type qui a le sang chaud. Quand c’est comme ça, on finit par se battre. Lorsqu’on a fini c’est moi qui suis tout raplapla. Et lui il pleure ; c’est un peu bébé. Il cherche souvent la bagarre et à la fin, il éclate en sanglot. Et du coup je me retrouve avec une marécage visqueux de larmes de Robert en bas du ventre. Et quand j’approche mon visage, je vois toute sortes de créatures marines. De longues créatures à la peau écailleuse et à la mâchoire dentée comme des piranhas. Je plonge ma main dans les eaux inquiétantes, saisi une de ces singulières anguilles et la porte à ma bouche. Quel goût divin ! Je fini par toutes les attraper et les manger. La mare blanche et crayeuse disparaît au fur et à mesure que je me sustente. Puis lorsque le gong au son assourdissant retentit ; de la cuvette des toilettes, de l’évier de la cuisine et de la salle de bain sortent les clowns nains aux visages brûlés. J’adore passer de long moment avec eux. Une fois dans la pièce principale, ils me gratifient de blagues à chaque fois différentes de la soirée précédente. Pendant qu’ils s’exécutent, l’un d’eux me donne un peu de substance qu’ils ont l’habitude d’inhaler ensemble. Et je me mets à rire, à rire ! Quels moments de rigolade ! Ils rapportent souvent leur tourne disque et quelques vinyles avec eux. Ce soir, ils ont apporté l’album de Serge Gainsbourg et de Jane Birkin, celui sur lequel apparaît « Sous le soleil exactement ». J’adore ce morceau. Au son grésillant du disque, les clowns au grotesque aspect font la ronde et dansent tous ensembles main dans la main. Des clowns ignobles s’amusant tels des enfants. Une fois, devant ces ignominies pleines de pureté, je me suis mis à pleurer. Mais ça n’a duré qu’un instant. Devant tant de chaleur et de rires, je ne pouvais pas me laisser aller ainsi à la tristesse et aux regrets. Avec l’arrivée de ces personnages qui viennent me rendre visite le soir, mon corps s’est doucement mis à glisser vers la nuit. Je me réveille vers 18h et me couche aux alentours de 8h du matin. Je ne suis plus capable de sortir de chez moi. J’ai oublié comment parlent les gens d’ici. Il m’est incapable de prononcer un seul mot en face d’un autre être humain. Alors je ne sors plus ; à part la nuit, lorsque les rues sont désertes. Mais je ne suis pas tout seul. Je ne m’ennuie pas. Toute ma chambre est tapissée des dessins que les clowns m’offrent chaque soir.
Il y a aussi les chats. J’adore les chats. Ils me parlent de choses que je ne vois pas. Ils me dépeignent d’autres mondes souterrains fréquentés par des hommes qui comme moi, parlent aux chats. Des hommes et des femmes considérés comme impies par les gens du dehors. Selon les chats, ces personnes auraient terminé ainsi car elles seraient restées trop longtemps dans les mondes du profond dedans. Ces endroits où il est possible de communiquer avec les chats et les autres créatures. Elles aussi ne sont plus capables d’adresser la parole à leurs semblables. Mais contrairement à moi, cela fait des années qu’elles ont oublié le langage des hommes. Mais je m’en fous, je préfère ces endroits. C’est parce que je ne comprenais que trop bien le monde du dehors, mais que je n’avais aucune ambition ; que je me suis réfugié dans le marasme des mondes inversés.
Un soir où j’étais sorti dans la nuit calme, une femme était venue à ma rencontre. Elle parlait un langage que je comprenais. Elle savait que je fréquentais les chats et les clowns. Elle me raconta que sa fille s’était faite manger par les chats. Ce soir là, en rentrant chez moi, je rabattis la cuvette des chiottes, mis un bouchon aux éviers de la salle de bain et de la cuisine ainsi qu’à ma baignoire. Ainsi aucune de ces créatures ne vinrent me rendre visite. Je désirais définitivement couper les ponts avec elles parce que désormais, je les redoutais. Le souvenir de leur douceur chaleureuse m’effrayait. Et si cette apparente gentillesse dissimulait en vérité l’obscurité la plus dense ? Malgré tout, leur présence me manque terriblement mais j’essaie de ne pas y penser. Je préfère ne garder auprès de moi, que les bons et beaux souvenirs.

Après ça, je me suis mis à passer la totalité de mon temps en compagnie de Robert. J’avais le sentiment que c’était un bon gars, malgré le fait qu’on se battait souvent. Il m’avait déjà expliqué qu’il les sentait pas ces chats et ces clowns. Et puis, c’est quand même grâce à lui que je me suis nourri ces 5 derniers jours. En plus de ça, il m’a fait découvrir l’existence d’un lieu dont je ne soupçonnais même pas l’existence. Il appelait ça, la gynécée. Il m’a suffit de fermer les yeux pour y accéder. C’est une large demeure avec plusieurs chambres. Son architecture ressemble à celle d’un monastère. En son centre, dans une petite cour intérieure agréablement fleurie, se dresse une fontaine représentant une femme se masturbant. L’eau coule de sa vulve forgée en bronze. Selon Robert, cette cour se nomme le cloître. Les lieux tout entier sont comme assujettis à une sorte de tension sexuelle omniprésente. Une odeur de sécrétion mêlée au parfum des fleurs imprègne les lieux et renforce cette tension ambiguë. Dès notre entrée dans les lieux, Robert se gargarise tout entier du climat aphrodisiaque régnant dans cet endroit plus qu’agréable. Au début, je pensais aux chats et aux clowns ; mais les lieux s’étant immédiatement emparés de moi, je les oubliais complètement. Des femmes et des hommes nus se promenaient dans le palais aux allures de monastère. Robert les connaissait. Uns à uns, ils lui dirent bonjour. Il avait déjà pour habitude de venir tout seul lorsque j’étais petit et que je n’avais pas l’âge requis pour l’accompagner. Il semblait être apprécié. À un moment, deux femmes s’approchèrent de lui. Et en guise de salutation, elles l’engloutissent une à une dans leur bouche. Une fois libéré de l’emprise des bouches gobeuses, Robert, luisant de salive, ordonna aux deux filles de le suivre. Il était étrangement calme. Les deux filles finirent par rentrer dans l’une des chambres et fermèrent les grandes portes. Elles s'allongent sur le grand lit et ouvrirent les leurs. Comme une épée réfléchissant le soleil, Robert, encore brillant de salive, s’adonna à la première estocade. Il rentrait puis ressortait tout de suite après. Comme pour se jouer de la fille, il ne rentrait jamais entièrement dans la pièce étroite et humide où elle l’invitait. Et rapidement, Robert laissa la première fille geindre dans un dernier soupir ; avant de visiter la seconde jeune fille. Cette fois-ci, dans un désir provocateur de faire enrager la première, il rentra entièrement jusqu’à la garde et resta plus longtemps à l’intérieur. Devant moi, les deux jeunes fleurs s'enivraient de plaisir déluré. Du sirop suintait aux parois de chacune des deux portes. Les corps se contractaient dans d’ultimes spasmes et se laissaient totalement enivrer du plaisir charnel. La première fille s’approcha de la seconde et lui offrit sa bouche. Inerte et contemplateur, je ne disais rien. J’étais plongé dans l’un de ses tableaux représentant une scène obscène dans la Grèce antique. C’était exactement pareil, les visages se déformaient sous le charme d’un plaisir licencieux. Puis Robert sortit enfin de la seconde fille. Il fit mine aux filles de s’approcher et leur susurra quelque chose dans les oreilles. Celles-ci se mirent à rire. Enfin, elles s’avancèrent dans ma direction arborant un petit sourire narquois. L’une d’elle se mordit les lèvres. Subitement, elles me projetèrent au sol et tour à tour, me pissèrent au visage. Robert, assistant à la scène, de son unique œil laissa jaillir une flopée de larmes. Lorsque je rouvris les yeux, mon corps tout entier était affalé dans la salle de bain. Visiblement, je m’étais pissé dessus et ça empestait dans toute la pièce. Ça m’arrivait souvent petit.

Les chats et les clowns ne viennent plus me rendre visite. Robert n’est pas revenu. Je suis terriblement seul et passe mon temps les yeux fermés dans l’espoir de pouvoir apprécier de nouveau leur présence. Je ne bouge pas de mon canapé et triste de constater, que sans eux ma chambre est bien vide. J’aimerai les revoir ou les oublier. Pour l’instant, je scroll sur instagram et sur de nombreux sites porno. Je m’abandonne au flux des images satisfaisantes. Je n’ai plus rien à faire à part demander de l’aide. Je me sens honteux de faire appel à qui que ce soit mais vous êtes les plus proche de moi géographiquement. Alors s’il vous plaît, aidez-moi à sortir de cet état. J’ai compris maintenant. Sombrer dans les abîmes imaginaires m’attirent mais au détriment de ma santé mentale et physique. Alors, au secours.

Jean-Noël